C. Kossaifi

Les Idylles bucoliques de Théocrite: une poétique du bonheur

Òåêñò ïðèâîäèòñÿ ïî èçäàíèþ: «Àíòè÷íûé ìèð è àðõåîëîãèÿ». Âûï. 13. Ñàðàòîâ, 2009. Ñ. 373—388.

ñ.388

Êðè­ñòèí Êîñ­ñà­è­ôè (Ñåâð, Ôðàí­öèÿ).
Áóêî­ëè­÷å­ñêèå «Èäèë­ëèè» Ôåî­êðè­òà: ïîý­òè­êà ñ÷à­ñòüÿ

Ôåî­êðèò â áóêî­ëè­÷å­ñêèõ «Èäèë­ëè­ÿõ», òùà­òåëü­íî ïîä­áè­ðàÿ êàæ­äîå ñëî­âî è êàæ­äûé çâóê, ïûòà­åò­ñÿ îòûñ­êàòü ìîòèâ ïîä­ëèí­íî ÷åëî­âå­÷å­ñêî­ãî ñ÷à­ñòüÿ. Ïîýò âûñò­ðà­è­âà­åò ñëîæ­íûé ìèð âñå­ëåí­íîé, ãäå ÷åëî­âå­÷å­ñêîå, æèâîò­íîå è áîæå­ñò­âåí­íîå ñëè­âà­þò­ñÿ â åäè­íîì îáðà­çå Ïàíà, êîòî­ðûé, ïðî­æè­âàÿ íà ëîíå ïðè­ðî­äû, îùó­ùà­åò ïîë­íîå ñ÷à­ñòüå æèç­íè. Äåé­ñò­âó­þ­ùåé ñèëîé ïîý­òè­÷å­ñêî­ãî òâî­ðå­íèÿ ÿâëÿ­åò­ñÿ Ýðîñ. Îí ïðè­÷è­íÿ­åò äóøåâ­íóþ áîëü, êîòî­ðàÿ âûêðè­ñòàë­ëè­çî­âû­âà­åò­ñÿ â æåì­÷ó­æè­íû ïîý­òè­÷å­ñêî­ãî òâîð­÷å­ñòâà. Âñå ýòî ïðå­îá­ðà­æà­åò ëè÷­íîñòü, äàæå èç öèê­ëî­ïà äåëàÿ ïîýòà. Ïîý­çèÿ Ôåî­êðè­òà, èñõî­äÿ èç êîí­öåï­öèè Êàë­ëè­ìà­õà, ÿâëÿ­åò­ñÿ èñêóñ­ñò­âîì æèòü ñ÷àñò­ëè­âî, ãäå ðåàëü­íîñòü ìîæåò íàíå­ñòè ðàíû, íî íå ñïî­ñîá­íà óáèòü.


ñ.373 Les Idyl­les de Théoc­ri­te té­moig­nent dans leur di­ver­si­té même d’une vi­ve con­scien­ce du chaos qui règ­ne dans le mon­de et de la souffran­ce dé­sa­bu­sée qui ron­ge l’in­di­vi­du1: com­me Ca­mus le fe­ra di­re à Ca­li­gu­la, «les hom­mes meu­rent et ils ne sont pas heu­reux»2. Com­ment ret­rou­ver le bon­heur per­du et la joie de viv­re? Par la ma­gie de la poé­sie, ré­pond Théoc­ri­te dans ses Idyl­les bu­co­li­ques3: l’ἁσυ­χία, la paix du corps et de l’esprit, s’in­car­ne dans la sy­rinx de Pan, le dieu-bouc pri­mi­tif en qui fu­sion­nent ani­ma­li­té et spi­ri­tua­li­té. En chan­tant ses pei­nes d’amour dans une na­tu­re compli­ce, le pâtre ret­rou­ve l’an­ti­que har­mo­nie qui l’unis­sait au cos­mos et au di­vin. En façon­nant les con­tours sub­tils de ce qui de­viendra le my­the bu­co­li­que, le poè­te explo­re l’âme hu­mai­ne et af­fir­me son ta­lent. La paix bu­co­li­que prend ain­si une doub­le di­men­sion, exis­ten­tiel­le et es­thé­ti­que.

Une na­tu­re compli­ce

Le pâtre vit en sym­bio­se avec une na­tu­re fa­mi­liè­re qu’il con­naît, qu’il aime et qui lui don­ne des re­pè­res spa­tiaux stab­les et ras­su­rants. L’ombre des arbres, la fraîcheur des sour­ces, le tendre ta­pis de ver­du­re, la lu­mi­no­si­té so­lai­re, la grot­te des Nym­phes, le chant des oiseaux, élé­ments tra­di­tion­nels du lo­cus amoe­nus4, for­ment un cad­re «aimab­le et non gran­dio­se»5 qui lui offre la dou­ceur du bon­heur dans l’éc­rin de ver­du­re d’un lieu clos; c’est un «tendre ga­zon» (VI, 45) aup­rès d’une fon­tai­ne (v. 3), un «or­me» à l’ombre gé­né­reu­se près des sta­tues de Pria­pe et des Nym­phes (I, 21—22), un antre ha­bil­lé de lier­re et de fou­gè­re (III, 14) «près d’un pin» (v. 38). Des ri­viè­res et des sour­ces ir­ri­guent ce pay­sa­ge dans le­quel ser­pen­tent des che­mins pier­reux, à l’ima­ge de ce­lui dont Si­mi­chi­das «fait chan­ter tou­tes les pier­res au choc de (ses) cha­us­su­res» (VII, 26). Une simple no­ta­tion, vi­suel­le ou audi­ti­ve, suf­fit pour des­si­ner le cad­re, que le poè­te n’ép­rou­ve pas le be­soin de déc­ri­re plus ñ.374 pré­ci­sé­ment. Tou­te­fois, cet­te simpli­ci­té de moyens ne sig­ni­fie pas ar­ti­fi­cia­li­té de la na­tu­re et cet­te «pauv­re­té descrip­ti­ve», que C. Cus­set semble rep­ro­cher à Théoc­ri­te6, nous pa­raît re­le­ver plutôt d’une tech­ni­que «impres­sion­nis­te» où l’art de l’es­quis­se est au ser­vi­ce de l’ana­ly­se psy­cho­lo­gi­que. Il ne s’agit pas de déc­ri­re la na­tu­re dans sa per­ma­nen­ce, mais de transcri­re par des tou­ches bu­co­li­ques les impres­sions qu’el­le pro­duit dans la con­scien­ce des per­son­na­ges7.

Ces no­ta­tions poé­ti­ques per­met­tent en ef­fet à Théoc­ri­te de sug­gé­rer un sen­ti­ment ou un état d’esprit; le pay­sa­ge bu­co­li­que n’est pas seu­le­ment «un pur objet poé­ti­que», com­me l’a montré C. Cus­set8; il est aus­si un moyen d’explo­ra­tion de l’âme hu­mai­ne, offrant un ri­che ré­per­toi­re d’ima­ges qui concré­ti­sent des ca­rac­tè­res et qui tis­sent tout un ré­seau d’in­ter­pé­nét­ra­tions, voi­re de dé­pen­dan­ces, entre l’hom­me et la na­tu­re9. Ain­si, dans l’Idyl­le XI, Po­ly­phè­me, dé­si­reux de chan­ter la beau­té de sa Ga­la­tée, trou­ve na­tu­rel­le­ment dans la réa­li­té pas­to­ra­le qui est la sien­ne les élé­ments de com­pa­rai­son dont il a be­soin: «toi plus blan­che à voir que le lait cail­lé, plus tendre que l’ag­neau, plus frin­gan­te que la gé­nis­se, plus lui­san­te que le rai­sin vert»10, λευ­κοτέ­ρα πακ­τᾶς πο­τιδεῖν, ἁπα­λωτέ­ρα ἀρνός / μόσ­χω γαυ­ροτέ­ρα φιαρω­τέρα ὄμφα­κος ὠμᾶς (XI, 20—21). Por­té par ses sen­ti­ments, le Cyc­lo­pe se lais­se al­ler à l’exa­gé­ra­tion amou­reu­se, tan­dis que, par la struc­tu­re de la phra­se et sa for­mu­la­tion qui rap­pel­le Anac­réon ou Sap­pho11, par le jeu des so­no­ri­tés et des ho­mo­té­leu­tes, ain­si que le ryth­me mé­lo­dieux sou­te­nu par le chias­me mé­dian, le poè­te transcrit l’ex­ci­ta­tion ly­ri­que et l’état amou­reux cau­sé par l’im­pact du re­gard, πο­τιδεῖν; les com­pa­rai­sons di­sent à la fois la fiè­re beau­té de Ga­la­tée et l’im­pos­si­bi­li­té de l’amour de Po­ly­phè­me qui ne par­vient pas à dompter l’or­gueil­leu­se ar­ro­gan­ce de cet­te fem­me as­si­mi­lée à la gé­nis­se re­bel­le, μόσ­χω γαυ­ροτέ­ρα: l’évo­ca­tion du rai­sin vert, ὄμφα­κος ὠμᾶς, op­po­se le rêve du Cyc­lo­pe (Ga­la­tée, à la bel­le peau lui­san­te, peut, com­me le rai­sin en­co­re vert, mûrir, chan­ger et se lais­ser cueil­lir12) à la réa­li­té (Ga­la­tée, rai­sin vert improp­re à la con­som­ma­tion, se re­fu­se à ce­lui qui la pour­suit). Sur la vi­sion naïve du per­son­na­ge qui se ré­fè­re à des réa­li­tés tri­via­les13 se su­per­po­se le re­gard amu­sé d’un poè­te éru­dit qui ca­rac­té­ri­se par un éc­ho in­ter­tex­tuel sub­til le glis­se­ment du raf­fi­ne­ment ly­ri­que au pro­saïsme pas­to­ral: le chant ñ.375 sap­phi­que «à la mé­lo­die plus dou­ce que la ly­re», πάκ­τι­δος ἀδυ­μελεσ­τέ­ρα, s’es­tom­pe chez Théoc­ri­te de­vant la «blan­cheur plus éc­la­tan­te que le lait cail­lé», λευ­κοτέ­ρα πακ­τᾶς14, de cel­le qui por­te déjà le lait dans son nom, Ga­la­tée… La na­tu­re de­vient ain­si jeu lit­té­rai­re en même temps que moyen de ca­rac­té­ri­sa­tion psy­cho­lo­gi­que pour des­si­ner hu­mo­ris­ti­que­ment le portrait d’un Cyc­lo­pe à la fois ri­di­cu­le et émou­vant.

C’est donc dans leur réa­li­té quo­ti­dien­ne que les pâtres trou­vent le moyen de di­re, voi­re de con­cep­tua­li­ser leurs sen­ti­ments. Vi­vant en sym­bio­se avec la na­tu­re, c’est éga­le­ment en el­le qu’ils pren­nent lo­gi­que­ment leurs cri­tè­res d’ana­ly­se poé­ti­que. Thyr­sis et le chev­rier, dans l’Idyl­le I, par exemple, jugent la qua­li­té de leur art par ré­fé­ren­ce à la dou­ceur de la na­tu­re: «il est doux, chev­rier, le mur­mu­re de ce pin, qui chan­te là à côté de ces sour­ces; non moins doux le chant de ta sy­rinx», ἀδύ τι τὸ ψι­θύρισ­μα καὶ ἁ πί­τυς αἰπό­λε τή­να / ἃ ποτὶ ταῖς πα­γαίσι με­λίσ­δε­ται, ἀδὺ δὲ καὶ τὺ / συ­ρίσ­δες (I, 1—3). Et le chev­rier ré­pond: «plus doux, ô ber­ger, est ton chant que le bruit de cet­te eau, qui là s’égout­te du haut de ce ro­cher», ἅδιον ὦ ποιμὴν τὸ τεὸν μέ­λος ἢ τὸ κα­ταχὲς / τῆν᾿ ἀπὸ τᾶς πέτ­ρας κα­ταλεί­βεται ὑψό­θεν ὕδωρ (v. 7—8). En quel­ques tou­ches sug­ges­ti­ves qui sol­li­ci­tent les sens, Théoc­ri­te évo­que le lieu de la ren­contre et crée une at­mos­phè­re. La pre­miè­re sen­sa­tion est audi­ti­ve: char­mée par une dou­ceur in­con­nue, ἁδύ, l’oreil­le perçoit un bruis­se­ment, ψι­θύρισ­μα, mur­mu­re sen­suel15 que la conjonction de coor­di­na­tion καί as­so­cie au pin, rappro­ché, par la pla­ce des mots, de l’in­ter­lo­cu­teur, le chev­rier, qui res­te­ra ano­ny­me, mais qui se trou­ve sym­bo­li­que­ment in­sé­ré entre le sub­stan­tif, ἁ πί­τυς, et le déic­ti­que, τή­να, com­me pour sou­lig­ner la re­la­tion fu­sion­nel­le qui l’unit à l’arbre de Pan. Ap­rès avoir ancré le dia­lo­gue dans la réa­li­té en nous montrant le pin, Théoc­ri­te nous fait voir les sour­ces (v. 2), puis en­tendre la mé­lo­die de la sy­rinx du chev­rier, συ­ρίσ­δες, aus­si dou­ce, ἁδύ, que la dou­ceur de miel16 du pin, με­λίσ­δε­ται. Le chev­rier ré­pond sous for­me de chias­me en ren­ché­ris­sant par un com­pa­ra­tif sur la dou­ceur du chant poé­ti­que et de la na­tu­re: la ro­che ruis­se­lan­te est impli­ci­te­ment as­si­mi­lée à la sy­rinx dont el­le imi­te la cas­ca­de de no­tes, tout en res­tant, com­me le pin et les sour­ces, une réa­li­té concrè­te­ment mar­quée par l’emploi réi­té­ré du déic­ti­que qui fait entrer le lec­teur dans l’in­ti­mi­té des per­son­na­ges. Par le champ le­xi­cal de la mu­si­ca­li­té et l’ana­pho­re de l’adjec­tif ἁδύ, con­cept es­sen­tiel de sa poé­ti­que, Théoc­ri­te fait fu­sion­ner na­tu­re et poé­sie17: le pay­sa­ge bu­co­li­que est un chant vi­vant qui s’in­car­ne dans la mé­lo­die de la sy­rinx, en une re­la­tion fu­sion­nel­le de l’hom­me et de la na­tu­re que sug­gè­re l’as­si­mi­la­tion fi­na­le du chant de Thyr­sis à ce­lui de la my­thi­que ci­ga­le18, τέτ­τι­γος (…) φέρ­τε­ρον ᾄδεις (v. 148). Ain­si s’éc­lai­re le mes­sa­ge exis­ten­tiel du poè­te: par­ce qu’il est ét­roi­te­ment uni à ce pay­sa­ge à la fois poé­ti­que et sac­ré, com­me le sug­gè­re le ñ.376 ter­me πί­τυς, que Théoc­ri­te a pré­fé­ré à πεύκη19 et qui évo­que la nym­phe Pi­tys aimée de Pan, le pâtre-poè­te, pro­phè­te de la na­tu­re, peut seul sen­tir et di­re la pré­sen­ce du sac­ré qui ir­ri­gue le quo­ti­dien20 et nour­rit le chant bu­co­li­que.

Cet­te éla­bo­ra­tion lit­té­rai­re de la na­tu­re va de pai­re avec une con­fu­sion des règ­nes vé­gé­tal, ani­mal et hu­main, ca­rac­té­ris­ti­que du my­the bu­co­li­que qui idéa­li­se les re­la­tions de l’hom­me et de l’ani­mal en une ét­roi­te in­ter­pé­nét­ra­tion. Le pâtre est uni à son trou­peau en un lien à la fois mo­ral et af­fec­tif. Sou­cieux de son bien-être, il veil­le à ce qu’il ne man­que de rien, même si les bêtes ne lui ap­par­tien­nent pas. Ain­si, Co­ry­don n’hé­si­te pas à me­ner le trou­peau qu’il gar­de «là où pous­se tout ce qu’il y a de bon» (IV, 24—25) ou à «don­ner une bot­te d’her­be tendre» à une gé­nis­se amaig­rie (v. 18) dont il dép­lo­re sin­cè­re­ment la souffran­ce. De même, avant d’être amou­reux de Ga­la­tée, le Cyc­lo­pe pre­nait plai­sir à cueil­lir du feuil­la­ge vert, bien tendre pour ses ag­nel­les (XI, 73—74)21. Car c’est dans les soins quo­ti­diens qu’il dis­pen­se à ses bêtes que le pâtre goûte le bon­heur, com­me Daph­nis, le pres­ti­gieux bou­vier de l’Idyl­le I, le rap­pel­le en des vers dont la for­mu­la­tion évo­que cel­le de l’épig­ram­me fu­né­rai­re: Δάφ­νις ἐγὼν ὅδε τῆ­νος ὁ τὰς βόας ὧδε νο­μεύων, / Δάφ­νις ὁ τὼς ταύ­ρως καὶ πόρ­τιας ὧδε πο­τίσ­δων (I, 120—121). Out­re une cer­tai­ne jouis­san­ce nar­cis­si­que qui rappro­che Daph­nis d’Hip­po­ly­te, com­me le dit Hun­ter22, il nous semble que l’ana­pho­re de Δάφ­νις et de ὧδε sou­lig­ne éga­le­ment l’amer­tu­me extrême du bou­vier nos­tal­gi­que de son bon­heur pas­sé et vic­ti­me des tour­ments qu’Aph­ro­di­te lui infli­ge contre son gré, le pri­vant ain­si de sa li­ber­té et de la paix simple qu’il trou­vait dans une vie en sym­bio­se avec la na­tu­re et les ani­maux23; mais, com­me sou­vent dans les Idyl­les bu­co­li­ques, la lec­tu­re exis­ten­tiel­le n’épui­se pas le sens qui ne prend tou­te sa ri­ches­se que dans une in­terpré­ta­tion poé­ti­que: par le jeu sur les gen­res qui ouv­re l’idyl­le sur l’épig­ram­me, la tra­gé­die ou l’élé­gie24 et par l’éla­bo­ra­tion ryth­mi­que et so­no­re, Théoc­ri­te fait de Daph­nis un poè­te cal­li­ma­chéen25, tout en lui don­nant l’en­ver­gu­re d’un maître à pen­ser. D’ail­leurs Thyr­sis se pré­sen­te impli­ci­te­ment com­me son dis­cip­le quand il intro­duit son chant par une for­mu­la­tion qui évo­que cel­le de Daph­nis: Θύρ­σις ὅδ᾿ ὡξ Αἴτνας, καὶ Θύρ­σι­δος ἁδέα φω­νά ñ.377 («Je suis Thyr­sis d’Ait­na, Thy­ris à la voix dou­ce»26, v. 65), tout en rap­pe­lant, à tra­vers la no­tion de dou­ceur, ἁδέα, le lien ét­roit qui unit le pâtre à l’art et à la na­tu­re27, au point que les fron­tiè­res qui sé­pa­rent l’hu­main de l’ani­mal ont ten­dan­ce à s’ef­fa­cer.

En ef­fet, com­me il est ha­bi­tué à viv­re cha­que jour avec son trou­peau, le chev­rier n’hé­si­te pas à rep­ro­dui­re le com­por­te­ment de ses bêtes, com­me Co­ma­tas, si heu­reux d’avoir rem­por­té l’agon qui l’op­po­se à La­con qu’il se voit «sau­ter jus­qu’au ciel» (V, 144). In­ver­se­ment les ani­maux ont une af­fec­tion réel­le pour leur ber­ger auquel ils té­moig­nent des sen­ti­ments pres­que hu­mains. Les va­ches d’Aigon, dans l’Idyl­le IV, le «reg­ret­tent en mu­gis­sant», μυ­κώμε­ναι (…) πο­θεῦντι (v. 12), et «ne veu­lent plus brou­ter», οὐκέ­τι λῶν­τι νέ­μεσ­θαι (v. 14): G. W. Lawall28 voit dans cet­te re­la­tion fu­sion­nel­le du pâtre et de ses bêtes une ima­ge de l’amour et un moyen d’étu­de psy­cho­lo­gi­que de l’âme hu­mai­ne, tan­dis que R. Hun­ter29 y lit une dé­va­lo­ri­sa­tion de Co­ry­don in­ca­pab­le de comprendre que les va­ches ont tout simple­ment faim! Ces ana­ly­ses di­ver­gen­tes sou­lig­nent les ri­ches pos­si­bi­li­tés de lec­tu­res plu­riel­les qu’offre l’œuv­re de Théoc­ri­te, con­strui­te avec tant de fi­nes­se qu’el­le per­met les appro­ches les plus va­riées. En ef­fet, l’in­terpré­ta­tion de Lawall s’ap­puie sur la sen­si­bi­li­té des bêtes ca­pab­les de com­mu­ni­quer avec leur pâtre par la mu­si­que, com­me l’a montré J. Du­che­min30, tan­dis que Hun­ter met l’ac­cent sur l’hu­mour du poè­te.

Cet­te am­bi­va­len­ce se ret­rou­ve dans la hié­rar­chie bu­co­li­que qui pla­ce les pâtres — à l’ex­cep­tion du por­cher que Théoc­ri­te éli­mi­ne de sa poé­sie31 — sur une éc­helle qui va du plus raf­fi­né au plus gros­sier. Tout en haut se trou­ve le bou­vier; fin mu­si­cien et ha­bi­le poè­te, il est l’être «le plus évo­lué»32 et le plus pres­ti­gieux, à l’ima­ge du my­thi­que Daph­nis de l’Idyl­le I. Maître de lui et de ses sen­ti­ments, il sait se montrer con­vi­vial et res­pec­tueux d’aut­rui, com­me en té­moig­ne l’agon qui op­po­se «Daph­nis le bou­vier» à Da­moi­tas, dans l’Idyl­le VI, mais, étant un être en­tier, il s’in­ves­tit par­fois de tou­te son âme, à l’ima­ge de Daph­nis qui re­fu­se l’amour de la fil­le jus­qu’à la mort. Tout en bas se tient le chev­rier, en ét­roit con­tact avec la na­tu­re, mar­chant «nu-pieds», νή­λιπος (IV, 56), même dans la mon­tag­ne, spon­ta­né, par­fois bes­tial, com­me Co­ma­tas dans l’Idyl­le V. Ma­lad­roit en amour, il est sou­vent qua­li­fié de δύ­σερως, in­ca­pab­le d’aimer, l’adjec­tif con­sti­tuant un rep­ro­che dans la bou­che de Ga­la­tée (VI, 7) et même une inju­re quand Pria­pe, iro­ni­que, se mo­que de ñ.378 Daph­nis (I, 86). Quant au ber­ger, il est pla­cé au mi­lieu de l’éc­helle et n’a pas de ca­rac­té­ris­ti­que prop­re: il peut être éle­vé au rang du bou­vier, com­me Thyr­sis dans l’Idyl­le I, ou ra­bais­sé au ni­veau du chev­rier, com­me La­con dans l’Idyl­le V. Ce sché­ma de ba­se est bien sûr sus­cep­tib­le de nombreu­ses va­ria­tions, en fonction de l’idée que Théoc­ri­te veut expri­mer. Pour dé­va­lo­ri­ser un per­son­na­ge, il montre un bou­vier in­dig­ne de son rang; c’est ain­si que, dans l’Idyl­le IV, il se mo­que des pré­ten­tions ar­tis­ti­ques et du dé­sir de gloi­re d’Aigon, qui nég­li­ge ses va­ches et mé­con­naît le bon­heur bu­co­li­que pour une chi­mè­re. A l’op­po­sé, cer­tains chev­riers, à l’exemple de Ly­ci­das ou de Co­ma­tas dans l’Idyl­le VII, ont su entrer en con­so­nan­ce avec la na­tu­re d’une façon tel­le­ment har­mo­nie­use qu’ils at­teig­nent un sta­tut poé­ti­que, voi­re my­thi­que33. En jouant sur les co­des bu­co­li­ques, Théoc­ri­te a des am­bi­tions plus éle­vées que cel­les d’un simple jeu de mas­ques: loin de se ré­dui­re à la mas­ca­ra­de bu­co­li­que, tel­le que l’a dé­fi­nie R. Reit­zenstein34, sa poé­sie éc­lai­re les mul­tip­les fa­cet­tes de l’âme hu­mai­ne, tour­men­tée par les dé­sirs, avi­lie par les souffran­ces, sou­mi­se à la mort; à cet­te quête per­pé­tuel­le du bon­heur, el­le ap­por­te une ré­pon­se, cel­le de la paix bu­co­li­que dont l’ima­ge est ar­tis­ti­que­ment très éla­bo­rée et qui se syn­thé­ti­se dans la fi­gu­re de Pan.

Pan ou la doub­le fa­cet­te du bon­heur bu­co­li­que

Compli­ce des sen­ti­ments des per­son­na­ges, bruis­san­te d’une vie mys­té­rie­use, la na­tu­re est le lieu du bon­heur et du chant, mais el­le est aus­si le ré­cep­tac­le du di­vin. Ha­bi­tée par les Nym­phes, les «Sa­ty­res (et les) Pans35 qui ont de vi­lai­nes pat­tes», com­me le dit le vieux de l’Idyl­le IV (v. 62—63), el­le est le do­mai­ne de Pan, la di­vi­ni­té majeu­re des Idyl­les bu­co­li­ques, sur la­quel­le jurent tous les pâtres36, par­ce qu’el­le est pour eux un re­pè­re es­sen­tiel et un com­pag­non qui comprend et par­ta­ge leurs dé­sirs. Ain­si La­con af­fir­me «par Pan, dieu des ri­va­ges», τὸν Πᾶ­να τὸν ἄκτιον (V, 14), qu’il n’a pas vo­lé la toi­son de Co­ma­tas. Loin de fai­re al­lu­sion à une sta­tue ou à un temple par­ti­cu­liers, com­me le croit Gow37, l’épi­thè­te ἄκτιος ren­voie à l’as­pect ma­rin de Pan38, le ru­sé fils d’Her­mès ca­pab­le, par le fu­met d’un re­pas de pois­sons, de sé­dui­re Ty­phon pour mieux le perdre39, mais el­le évo­que aus­si la tech­ni­que par­ti­cu­liè­re que, se­lon Op­pien40, les pêcheurs uti­li­sent pour cap­tu­rer par ru­se les sar­gues qui se rappro­chent des côtes, à l’épo­que de la ca­ni­cu­le: ils se dé­gui­sent en chèv­res, dont l’odeur at­ti­re ces pois­sons, puis ils jet­tent à la mer «de la fa­ri­ne d’or­ge rôtie avec de la vian­de de chèv­re» et ils ñ.379 n’ont plus qu’à lan­cer leurs fi­lets pour attra­per en mas­se les sar­gues qui se sont di­ri­gés vers cet­te odeur qui les en­chan­te. La sé­duc­tion de Pan ἄκτιος est alié­nan­te com­me cel­le que La­con uti­li­se contre Co­ma­tas, qu’il ten­te de sé­dui­re en lui van­tant les char­mes de son côté (v. 31—34) pour l’ob­li­ger à le rejoindre dans l’es­poir de rem­por­ter sur lui une vic­toi­re sym­bo­li­que et d’avoir ain­si un avan­ta­ge psy­cho­lo­gi­que dans l’agon qui va l’op­po­ser au chev­rier. Le ser­ment par Pan ἄκτιος n’est pas in­no­cent: il ren­voie au dieu de la ru­se, à ce­lui qui règ­ne sur les chèv­res, qui les pro­tè­ge et les chas­se à sa gui­se, maître d’el­les com­me La­con voud­rait être maître du chev­rier Co­ma­tas41… Pan est donc une réa­li­té, ma­té­riel­le et psy­cho­lo­gi­que, dans le mon­de bu­co­li­que théoc­ri­téen qu’il mar­que de son emprein­te mys­té­rie­use et sau­va­ge.

Fré­quen­tant sur­tout la ter­re ari­de de la du­re Ar­ca­die grec­que42, Pan est une di­vi­ni­té pri­mi­ti­ve qui unit en el­le l’ani­mal, l’hu­main et le di­vin. Dieu thé­rio­mor­phe, il est le seul à «mon­ter les chèv­res», αἰγι­βά­της43, au contrai­re des aut­res di­vi­ni­tés pas­to­ra­les qui, dans leur évo­lu­tion, ont per­du leurs an­ti­ques ca­rac­té­ris­ti­ques ani­ma­les44, tel, par exemple, Apol­lon, peut-être à l’ori­gi­ne un dieu rat gué­ris­seur, qui a pu aus­si être as­so­cié au loup45, mais qui s’est prog­res­si­ve­ment «hu­ma­ni­sé», spi­ri­tua­li­sé en quel­que sor­te, pour de­ve­nir plus simple­ment le pro­tec­teur des champs et des ani­maux, le maître du chant et de la poé­sie, con­nais­sant aus­si bien le pâtu­ra­ge où pais­sent ses bêtes, νο­μός, que les règ­les de «l’air» mu­si­cal νο­μός46. Il en va de même pour Her­mès qui pas­se en gé­né­ral pour le pè­re de Pan à qui il a d’ail­leurs don­né sa ru­se ma­li­cie­use et son ha­bi­le­té à ti­rer pro­fit des res­sour­ces de la na­tu­re47. Dieu des ovins et des «pauv­res hè­res»48, por­teur de la ῥάβ­δος49, im­mor­ta­li­sé dans l’at­ti­tu­de du crio­pho­re, il aurait pu oc­cu­per la pla­ce de Pan dans les idyl­les bu­co­li­ques de Théoc­ri­te, d’autant plus qu’il «peut emprun­ter, par ñ.380 mé­ta­mor­pho­se, les traits d’un bouc»50. Mais, s’il peut, ac­ci­den­tel­le­ment, de­ve­nir bouc, il ne l’est pas par na­tu­re. Seul Pan est à la fois hom­me et bête, tout en res­tant vé­ri­tab­le­ment dieu. Il ap­pa­raît ain­si com­me l’ar­ché­ty­pe my­thi­que de l’hom­me dans tou­te sa comple­xi­té puis­qu’à l’élé­ment prop­re­ment hu­main il unit l’ani­ma­li­té de pul­sions par­fois in­con­scien­tes et la spi­ri­tua­li­té de cet­te mu­si­que di­vi­ne par la­quel­le il sub­li­me con­sciem­ment son dé­sir. Se­lon l’ana­ly­se de J. Hillman51, l’as­pect phy­si­que re­pous­sant de Pan, ses ac­cès de fu­reur et la peur «pa­ni­que» qu’il peut pro­vo­quer sont à l’ima­ge de not­re bes­tia­li­té in­née, par­fois mal contrôlée; mais son dé­sir pour Sy­rinx, sub­li­mé par la mu­si­que, nous apprend aus­si com­ment do­mi­ner cet­te vio­len­ce. En Pan se des­si­nent les trois fa­cet­tes qui, se­lon la psy­cha­na­ly­se freu­dien­ne, struc­tu­rent une per­son­na­li­té: le ça (transcrit, au ni­veau du my­the, par l’ima­ge du bouc), le moi (cor­res­pon­dant à l’as­pect hu­main de Pan) et le sur­moi (sug­gé­ré par sa na­tu­re di­vi­ne). Par­ce qu’il est l’ima­ge vi­van­te de l’har­mo­nie­use re­la­tion qu’entre­tien­nent en lui l’hom­me, le dieu et l’ani­mal, Pan peut de­ve­nir un mo­dè­le pour les pâtres.

Il leur pro­po­se un bon­heur simple dans la jouis­san­ce de l’instant, en les in­vi­tant à sa­tis­fai­re leur dé­sir sans compli­ca­tions psy­cho­lo­gi­ques et, au be­soin, par la vio­len­ce, com­me il le fait lui-même52. En ef­fet, dans ce mon­de pri­mi­tif, les re­la­tions amou­reu­ses res­tent frus­tes et la lo­gi­que bes­tia­le, à l’ima­ge de ce que le bouc fait aux chèv­res: «je dé­si­re, donc je prends». C’est ain­si que «le vieux» de l’Idyl­le IV, «ex­ci­té», ἐκνίσ­θη (v. 59), par la «bel­le aux sour­cils noirs», sa­tis­fait son dé­sir en «ayant com­mer­ce avec el­le», ἐνήρ­γει (v. 61). Les ver­bes employés met­tent en avant l’ac­te se­xuel et sou­lig­nent la ré­duc­tion du par­te­nai­re à un simple objet de plai­sir53. De la même façon, la re­la­tion que Co­ma­tas a entre­te­nue avec La­con as­so­cie impli­ci­te­ment54 la vio­len­ce qu’il a fait su­bir à son com­pag­non, ἐπύ­γιζον (V, 41), aux bêle­ments des chèv­res que le bouc «per­ce», ἐτρύ­πη (v. 42). Le vo­ca­bu­lai­re uti­li­sé, et par­ti­cu­liè­re­ment le ver­be τρυ­πάω-ῶ rappro­che clai­re­ment le chev­rier Co­ma­tas de son mo­dè­le di­vin, Pan, qui aime à rep­ro­dui­re au ni­veau hu­main les ges­tes ani­maux; com­me le dit Pria­pe, «le chev­rier, quand il voit les chèv­res se fai­re sail­lir, a les yeux qui brûlent de ne pas être lui-même bouc» (I, 87—88), c’est-à-di­re plei­ne­ment ani­mal, jouis­sant de la simple sa­tis­fac­tion de son dé­sir, sans souffran­ces ni compli­ca­tions psy­cho­lo­gi­ques, com­me Pan «qui mon­te les chèv­res». Co­ma­tas évo­que à nou­veau ce rap­port bes­tial dans l’agon où il sa­vou­re le plai­sir de se sen­tir dieu et maître d’un La­con ré­duit à l’at­ti­tu­de pas­si­ve de la fem­me. C’est du moins ce que sug­gè­rent les ver­bes κα­τελαύ­νειν ñ.381 (v. 116) qui, dans son sens éro­ti­que, n’est uti­li­sé que pour évo­quer un rap­port avec une fem­me55, et πο­τικιγκλίσ­δειν (v. 117), à la con­no­ta­tion fé­mi­ni­ne56. Ain­si, si, com­me le dit Stan­zel (p. 93), «cet ac­te uni­que est pour Co­ma­tas un moyen de ma­ni­fes­ter sa su­pé­rio­ri­té et sa for­ce mas­cu­li­ne», il est sur­tout l’ima­ge du bon­heur simple, voi­re frus­te, que pro­po­se Pan: jouir de sa vi­ri­li­té en fai­sant abstrac­tion de tout sen­ti­ment. La­con lui-même par­ta­ge cet­te con­cep­tion de la vie puis­qu’il évo­que avec plai­sir les mo­ments où, «sur les fleurs», il «souil­le», μο­λύνει, l’en­fant (v. 87), objet sou­mis à son dé­sir. De même, Si­mi­chi­das chan­te un amour pu­re­ment phy­si­que, sans compli­ca­tions sen­ti­men­ta­les, com­me ce­lui qui l’unit à la cour­ti­sa­ne Myr­to57 et qui lui ap­por­te la sa­tis­fac­tion d’un dé­sir aus­si na­tu­rel que ce­lui qui sai­sit «les chèv­res, au prin­temps», ὅσον εἴαρος αἶγες ἔραν­ται (VII, 97), et il éri­ge cet­te con­dui­te en règ­le de vie pour son ami Ara­tos, tour­men­té par son amour mal­heu­reux pour Phi­li­nos.

Quand le pâtre re­fu­se ce bon­heur bes­tial qui apai­se le corps mais lais­se l’esprit in­sa­tis­fait, il fait en­co­re com­me Pan qui, en fab­ri­quant la flûte qui por­te son nom, a su sub­li­mer «son dé­sir brûlant», πό­θοιο πυ­ρισ­μα­ράγου (Sy­rinx, v. 8): il n’a pas pu pos­sé­der Sy­rinx, pas plus que Pi­tys ou qu’Ec­ho, mais, en ex­ha­lant sa plain­te en sons aigus et dou­lou­reux, il fait de sa souffran­ce un chant poé­ti­que et, «par ses doux ac­cents», ἁδὺ με­λίσ­δοις58, il char­me et il en­chan­te. Aus­si la sy­rinx est-el­le «doub­le», à l’ima­ge du dieu qui, dans la my­tho­lo­gie hel­lé­nis­ti­que59, l’a conçue et façon­née. El­le peut expri­mer l’ar­deur du dé­sir et le plai­sir de sé­dui­re, «(dis­til­lant)» alors «une bon­ne iv­res­se; fai­sant fu­sion­ner la ter­re, la mer, le ciel étoi­lé dans le tis­su de son har­mo­nie, el­le re­lie l’hom­me aux dieux, sou­tient l’uni­vers, don­ne le ryth­me»60. Mais quand res­sort la vio­len­ce de la frustra­tion, el­le se fait plain­ti­ve, dou­lou­reu­se, fu­nèb­re et peut même «ap­pa­raître par­fois com­me un instru­ment de com­mu­ni­ca­tion avec l’au-de­là»61. C’est pour­quoi, quand le pâtre est tor­tu­ré par un amour qui ne s’apai­se pas, il lui res­te le chant de la sy­rinx, com­me un cri vers les dieux, mu­si­que jail­lie de son corps pos­sé­dé par un dé­sir trop in­ten­se, mé­lo­die qui dit la souffran­ce et qui re­con­struit le réel dans l’ima­gi­nai­re de l’art, com­me une pro­mes­se de paix. Née de Pan, la sy­rinx est la preu­ve concrè­te de la pré­sen­ce du dieu dans le mon­de des pâtres; el­le ryth­me leurs con­cours mu­si­caux (cf. I, 3), les aide à dé­pas­ser un vé­cu dou­lou­reux et les fait fu­sion­ner avec la na­tu­re dont el­le est is­sue. El­le ñ.382 est pro­mes­se de bon­heur, un bon­heur d’autant plus vé­ri­tab­le qu’il est nour­ri de la souffran­ce.

Pan, qui unit en lui bes­tia­li­té na­tu­rel­le et spi­ri­tua­li­té ar­tis­ti­que62, ap­pa­raît donc com­me l’ar­ché­ty­pe du mon­de bu­co­li­que, lieu de dou­ceur et de ten­sions, de bon­heur et de souffran­ce, que Théoc­ri­te syn­thé­ti­se dans la fi­gu­re de Daph­nis, le my­thi­que bou­vier de l’Idyl­le I. Heu­reux de s’oc­cu­per de ses bêtes et de jouer de la sy­rinx, ché­ri de Pan, des Nym­phes et des Mu­ses, Daph­nis vi­vait heu­reux avant d’être vic­ti­me d’Aph­ro­di­te et d’Eros. Tour­men­té par un amour qu’il re­fu­se, il choi­sit une mort ini­tia­ti­que63 qui fait de lui un sym­bo­le poé­ti­que64 et une hy­pos­ta­se de Pan65, à qui, à l’instant de sa mort, il lè­gue sa «sy­rinx que lie l’épais­se ci­re, à l’ha­lei­ne de miel», πακ­τοῖο με­λίπ­νουν / ἐκ κη­ρῶ σύ­ριγ­γα (v. 128—129); par ce don, dont la por­tée sym­bo­li­que est sug­gé­rée par le doub­le sens de l’adjec­tif με­λίπ­νους66, il ca­rac­té­ri­se le plai­sir es­thé­ti­que et émo­tion­nel de cet­te mu­si­que qui dé­tend le corps par sa «bon­ne odeur» et apai­se l’âme par ses «doux ac­cents». En offrant sa sy­rinx à Pan, Daph­nis lui don­ne son souffle vi­tal67, il se dé­nu­de sym­bo­li­que­ment pour s’offrir à l’eau qui va le prendre et, en ef­fet, com­me le chan­te Thyr­sis, «il (entre) dans le cou­rant; le tour­bil­lon englou­tit l’hom­me qui était aimé des Mu­ses, ce­lui qui n’était pas dé­tes­té des Nym­phes», χὡ Δάφ­νις ἔβα ῥόον. ἔκλυ­σε δί­να / τὸν Μοίσαις φί­λον ἄνδρα, τὸν οὐ Νύμ­φαι­σιν ἀπεχ­θῆ (v. 140—141). L’expres­sion ἔβα ῥόον, très am­bi­guë68, as­su­re au thè­me de l’eau une lar­ge sur­vie dans la lit­té­ra­tu­re pas­to­ra­le69 et don­ne à Daph­nis un sta­tut mys­té­rieux qui l’im­po­se com­me une fi­gu­re es­sen­tiel­le­ment bu­co­li­que dont Théoc­ri­te a façon­né la lé­gen­de70 pour en fai­re un ini­tia­teur et un sym­bo­le. En ef­fet, s’il a choi­si Daph­nis com­me in­ven­teur de la poé­sie bu­co­li­que, de pré­fé­ren­ce à Mé­nal­cas, dont le des­tin, la fi­gu­re et la fonction sont pour­tant semblab­les71, c’est aus­si pour son lien ét­roit avec la na­tu­re et, plus pré­ci­sé­ment, le lau­rier, δάφ­νη, qui lui a don­né son nom, Δάφ­νις72. Or le ñ.383 lau­rier est la plan­te d’Apol­lon73 et cet­te al­lu­sion fonction­ne com­me un contre-mo­dè­le: fa­ce à la «gran­de» poé­sie que sym­bo­li­se ce dieu, Théoc­ri­te en­tend dres­ser l’humble poé­sie du βου­κό­λος Daph­nis, com­me, à l’in­té­rieur même du mon­de bu­co­li­que, il op­po­se sym­bo­li­que­ment le chev­rier Co­ma­tas, poè­te de Pan, à l’apol­li­nien La­con, dans l’agon de l’Idyl­le V74. Par le per­son­na­ge de Daph­nis, Théoc­ri­te concré­ti­se la di­men­sion es­sen­tiel­le­ment poé­ti­que du mon­de bu­co­li­que, dans le­quel tous les pâtres chan­tent ou jouent de la sy­rinx, en gar­dant leurs bêtes el­les-mêmes sen­sib­les à la mu­si­que75. En façon­nant cet­te fi­gu­re, il don­ne à l’uni­vers bu­co­li­que la di­men­sion d’un my­the dont la spé­ci­fi­ci­té ré­si­de à la fois dans la re­la­tion par­ti­cu­liè­re de l’hom­me avec la na­tu­re et les dieux (Daph­nis est uni au lau­rier et il est ché­ri de Pan et des Nym­phes) et dans l’éla­bo­ra­tion sty­lis­ti­que du con­te­nu (Daph­nis, aimé des Mu­ses, en­chan­te par le chant de sa sy­rinx). Cha­que idyl­le, amou­reu­se­ment po­lie, éc­lai­re une fa­cet­te de cet uni­vers, jouant sur des contras­tes de ca­rac­tè­res ou de to­na­li­tés qui sont autant d’in­vi­tes à la créa­tion lit­té­rai­re.

Le mon­de bu­co­li­que se con­struit en ef­fet sur un en­semble de co­des et de sym­bo­les qui vi­sent à créer l’ima­ge du bon­heur dans la simpli­ci­té na­tu­rel­le d’un en­vi­ron­ne­ment compli­ce. Il s’agit d’un uni­vers à part, dans le­quel, com­me le di­sait Sca­li­ger, «les cho­ses n’entrent (…) que si el­les ac­cep­tent d’être par­lées dans le lan­ga­ge du mon­de des ber­gers, que si el­les sa­vent s’adap­ter à ce sys­tè­me de l’ima­gi­nai­re»76. C’est par l’ar­ti­fi­ce de l’art que se con­struit cet­te na­tu­re77, moyen d’explo­ra­tion de l’âme hu­mai­ne en même temps que «la­bo­ra­toi­re de poé­sie to­ta­le»78 et de re­cher­ches sur le lan­ga­ge et le pou­voir des mots. Com­me le re­mar­que Har­ry Ber­ger Junior, «le “na­tu­rel” dans la poé­sie bu­co­li­que est déjà un ar­ti­fi­ce tis­sé» qui vi­se à «at­ti­rer l’at­ten­tion du lec­teur sur l’art avec le­quel le poè­te pré­tend être na­tu­rel et non sur son “na­tu­rel”»79. Les Idyl­les bu­co­li­ques de Théoc­ri­te se con­strui­sent ain­si sur un in­ces­sant mou­ve­ment de ba­lan­cier et une per­pé­tuel­le ten­sion entre réa­lis­me80 et sym­bo­lis­me81, mi­mé­tis­me et ana­lo­gie82, ce dont té­moig­ne ñ.384 l’hu­mour raf­fi­né du poè­te, qui s’expri­me, par exemple, dans l’am­bi­gu sou­ri­re de Ly­ci­das, καὶ μ᾿ ἀτρέ­μας εἶπε σε­σαρὼς / ὄμμα­τι μει­διόων­τι, γέ­λως δέ οἱ εἴχε­το χεί­λευς, que Hun­ter83 pa­raph­ra­se ain­si: «avec une mo­que­rie im­per­tur­bab­le et un œil sou­riant, il par­la et un sou­ri­re flot­tait sur ses lèv­res» (VII, 19—20). Par le jeu de l’in­ter­tex­tua­li­té et les ef­fets d’éc­hos éru­dits, Théoc­ri­te as­si­mi­le Ly­ci­das à Dio­ny­sos, qui, dans l’hym­ne ho­mé­ri­que qui por­te son nom, at­tes­te de sa su­pé­rio­ri­té di­vi­ne sur les bri­gands qui l’ont cap­tu­ré par l’in­dé­fi­nis­sab­le es­quis­se du sou­ri­re qui fait pé­til­ler son re­gard sans même effleu­rer ses lèv­res, ὁ δὲ μει­διάων ἐκά­θητο / ὄμμα­σι κυανέοισι (v. 14—15). La cal­me su­pé­rio­ri­té de Ly­ci­das s’expri­me dans son sou­ri­re, qui ca­rac­té­ri­se aus­si sa ma­li­ce, ἁδὺ γε­λάσ­σας (v. 42 et 128), tout en évo­quant impli­ci­te­ment son at­ta­che­ment à la dou­ce mu­si­ca­li­té des vers. A ce raf­fi­ne­ment poé­ti­que s’op­po­se son ap­pa­ren­ce phy­si­que de chev­rier dont les traits sont ap­puyés jus­qu’à la ca­ri­ca­tu­re, tan­dis que le sou­ri­re «sa­ty­ri­que» du per­son­na­ge, σε­σαρώς84, sou­lig­ne sa di­men­sion pa­ni­que, donc sa part de bes­tia­li­té. Cet­te am­bi­guïté per­met les lec­tu­res les plus di­ver­ses, qui vont d’une appro­che réa­lis­te à une ana­ly­se iro­ni­que85. Il s’instau­re ain­si, entre le poè­te, ses imi­ta­teurs et ses lec­teurs, un dia­lo­gue dans le­quel l’œuv­re de­vient auto­no­me jus­qu’à per­mettre les réac­tions et les rééc­ri­tu­res les plus va­riées, dont té­moig­ne­ront les mul­tip­les for­mes de la pas­to­ra­le euro­péen­ne.

Ἁσυ­χία bu­co­li­que et ca­thar­sis poé­ti­que

L’éc­ho ren­contré par l’œuv­re de Théoc­ri­te s’expli­que cer­tes par cet éru­dit mé­lan­ge des gen­res et des tons, mais sur­tout par le fait que cha­cun des con­cepts poé­ti­ques cal­li­ma­chéens qui con­sti­tuent la tex­tu­re poé­ti­que et théo­ri­que des Idyl­les se met au ser­vi­ce d’une phi­lo­sop­hie de la vie: en centrant l’uni­vers bu­co­li­que sur des pâtres qui chan­tent leurs pei­nes d’amour, tout en gar­dant leurs bêtes dans une na­tu­re compli­ce, ha­bi­tée par le pri­mi­tif Pan, il ap­por­te une ré­pon­se à la souffran­ce exis­ten­tiel­le de l’hom­me; pour être heu­reux, il faut ret­rou­ver le con­tact per­du avec la na­tu­re et avec ses instincts, sym­bo­li­sés par Pan. C’est ain­si que Si­mi­chi­das, dans son chant de ré­pon­se à Ly­ci­das, in­vi­te son ami Ara­tos à se dé­tac­her de Phi­li­nos pour re­con­qué­rir sa li­ber­té per­due et goûter «la paix» ret­rou­vée, ἄμμιν δ᾿ ἁσυ­χία τε μέ­λοι (v. 126), en lais­sant lib­re cours à son dé­sir, sous le re­gard bien­veil­lant du dieu-bouc que Si­mi­chi­das in­vo­que à des­sein (v. 103—114). Ce n’est pas en ef­fet un ha­sard si Théoc­ri­te a pla­cé la seu­le oc­cur­ren­ce du ter­me d’ἁσυ­χία, pour­tant es­sen­tiel dans sa poé­ti­que86, dans un chant qui ñ.385 as­so­cie ét­roi­te­ment tra­di­tions pas­to­ra­les et amour87: ain­si, la fla­gel­la­tion avec des scil­les, évo­quée aux vers 106—108, sert à lut­ter contre la sté­ri­li­té ani­ma­le, mais la «fouet­tée» de Pan a aus­si «pro­bab­le­ment un sens éro­ti­que» (p. 112); de même les dé­man­geai­sons cau­sées par les or­ties (v. 109—110) sug­gè­rent «l’ex­ci­ta­tion amou­reu­se» mais se «ré­fè­rent» éga­le­ment à la «pra­ti­que pas­to­ra­le» qui con­sis­te à fouet­ter avec des or­ties les ma­mel­les des chèv­res qui re­fu­sent la sail­lie pour leur fai­re pro­dui­re du lait (p. 107). Les réa­li­tés rus­ti­ques et les com­por­te­ments amou­reux s’éc­lai­rent mu­tuel­le­ment, com­me si les unes ne pou­vaient se comprendre sans les aut­res. Mais, par ce jeu de l’in­ter­pé­nét­ra­tion des sym­bo­les et par la for­mu­la­tion éru­di­te des idées, Si­mi­chi­das lais­se en­tendre qu’il ne mé­con­naît pas la comple­xi­té de la psy­cho­lo­gie hu­mai­ne: son chant pro­po­se une aut­re ré­pon­se à la souffran­ce que cau­se Eros et il fonction­ne com­me un contre-mi­roir à ce­lui de Ly­ci­das, qui est une in­vi­te à sub­li­mer par la poé­sie la dou­leur que cau­se Eros, «le doux-amer», γλυ­κύπικ­ρον88, à l’uni­ver­sel pou­voir. C’est ce que fai­sait le Cyc­lo­pe de l’Idyl­le XI qui, en chan­tant sa Ga­la­tée, «me­nait paître son amour», ἐποίμαι­νεν τὸν ἔρω­τα (v. 80), qui s’apai­sait grâce à ce «re­mè­de», φάρ­μα­κον (v. 1)89. Car la sy­rinx, sym­bo­le de poé­sie, ap­por­te l’ἁσυ­χία, la paix, en transcen­dant la puis­san­ce né­ga­ti­ve de l’amour: en el­le Pan s’unit aux Mu­ses pour fai­re de la souffran­ce une mé­lo­die poé­ti­que qui apai­se. C’est ce que sug­gè­re Ly­ci­das quand, dans son chant, il évo­que Co­ma­tas al­lon­gé «sous le pin ou l’yeu­se» et fai­sant «dou­ce mu­si­que», τὺ δ᾿ ὑπὸ δρυσὶν ἢ ὑπὸ πεύκαις ἁδὺ με­λισ­δό­μενος κα­τεκέκ­λι­σο, θεῖε Κο­μᾶτα (VII, 88—89). Par le tra­vail sur les mots, ἐξε­πόνα­σα (v. 51), créa­teur de cet­te dou­ceur en­chan­te­res­se, ἁδύ (v. 89), que la briè­ve­té de la for­me, τὸ με­λύδ­ριον (ibid.), met en va­leur, Ly­ci­das par­vient à dé­pas­ser la cir­cu­la­ri­té de son dé­sir pour entrer dans un «mon­de de tran­quil­li­té et de cal­me»90; en ef­fet, pour éc­happer à «l’ar­dent amour (qui le) con­su­me», θερ­μός γὰρ ἔρως αὐτῶ με κα­ταίθει (v. 56), et le «brûle», ὀπτεύμε­νον (v. 55), il se projet­te dans le fu­tur où il ima­gi­ne son dé­sir sa­tis­fait et il rêve à la fête qu’il or­ga­ni­se­ra pour l’heu­reu­se ar­ri­vée d’Agéa­nax à My­ti­lè­ne (v. 63—82): le réel se trou­ve re­con­struit par le dé­sir et sub­li­mé par le chant qui s’ouv­re au my­the pour transcri­re le par­cours psy­cho­lo­gi­que de Ly­ci­das, qui va de la souffran­ce à l’apai­se­ment, de la la­men­ta­tion des «chênes», qui pleu­rent les tour­ments mor­tels de Daph­nis (v. 73—77), au «pin» ou à «l’yeu­se», qui ab­ri­tent la «dou­ce mu­si­que» de Co­ma­tas (v. 83—89). Par le chant, ce­lui de Ti­ty­re tout autant que le sien, Ly­ci­das ret­rou­ve sa li­ber­té per­due et gué­rit vrai­ment de son amour. Com­me le re­mar­que G. B. Walsh91, son poè­me est réel­le­ment «un re­mè­de au dé­sir et il est ef­fi­ca­ce car il prend la pla­ce de l’amant ab­sent dans le cœur du poè­te». Au contrai­re de Po­ly­phè­me qui trou­ve son apai­se­ment dans la pri­se de con­scien­ce de la réa­li­té et de la con­sis­tan­ce du mon­de ex­té­rieur, Ly­ci­das con­struit son bon­heur, il épu­re sa pas­sion par la poé­sie et, ñ.386 dans un uni­vers bu­co­li­que apai­sé, au sein d’une na­tu­re tran­quil­le et ag­réab­le, il goûte cet­te «har­mo­nie spi­ri­tuel­le»92 gag­née par le chant sur l’amour. Ain­si, tout com­me Co­ma­tas, le di­vin chev­rier dont il chan­tait le des­tin, il sym­bo­li­se l’ἁσυ­χία et, pâtre-poè­te, il façon­ne un uni­vers de beau­té…

C’est donc par la dou­ceur et la puis­san­ce ma­gi­que des mots93, ser­vies par l’énu­mé­ra­tion, la mu­si­ca­li­té d’un adjec­tif ou le ryth­me mé­lo­dieux des phra­ses, que Théoc­ri­te transcrit la beau­té plas­ti­que du mon­de bu­co­li­que, dont il concré­ti­se la quin­tes­sen­ce dans l’ima­ge du jar­din. Ce­lui de Phra­si­da­mos, à la fin de l’Idyl­le VII, est un lieu d’har­mo­nie qui sol­li­ci­te les sens sans les contraindre; «tout fa­vo­ri­se le vo­lup­tueux état d’âme où la mé­di­ta­tion con­fi­ne à la som­no­len­ce»94 et sou­tient la rêve­rie poé­ti­que de Si­mi­chi­das dont l’état de quié­tu­de se syn­thé­ti­se dans une no­tion de bien-être qui englo­be tout le pay­sa­ge, πάν­τα (v. 143), et qu’une odeur suf­fit à sug­gé­rer, ὦσδε (ibid., avec ré­pé­ti­tion du ver­be). Le jeu des an­ti­thè­ses, des chias­mes et des pa­ral­lé­lis­mes, sou­te­nu par l’ordre sig­ni­fiant des mots95, concré­ti­se ce bon­heur bu­co­li­que, tan­dis que les al­lu­sions aux Nym­phes de Cas­ta­li­des (v. 148), à Chi­ron et Hé­rac­lès (v. 149—150) ou à Po­ly­phè­me (v. 151—152) lui don­nent une di­men­sion my­thi­que. Lieu de l’ἁσυ­χία où le réel est vé­cu à tra­vers le filtre de la mé­moi­re et des sens, le jar­din de Phra­si­da­mos est aus­si une re­com­po­si­tion lit­té­rai­re, «un uni­vers ar­ti­fi­ciel et ori­gi­nal»96, qui pré­tend rec­réer la na­tu­re par l’art, com­me le sug­gè­rent les dé­tails descrip­tifs choi­sis par Théoc­ri­te et uti­li­sés éga­le­ment com­me ima­ges de la créa­tion poé­ti­que97, ce qui lui con­fè­re une por­tée gé­né­ri­que.

La même di­men­sion, phi­lo­sop­hi­que et poé­ti­que, se ret­rou­ve dans la cou­pe du chev­rier de l’Idyl­le I, sym­bo­le d’un art de viv­re qui est en même temps un art poé­ti­que. Les trois say­nè­tes qui la dé­co­rent di­sent en ef­fet la souffran­ce98 de la vie et le pos­sib­le bon­heur bu­co­li­que. Le pre­mier dé­cor (v. 32—38) rep­ré­sen­te une fem­me di­vi­ne­ment bel­le, cour­ti­sée par deux hom­mes qui s’épui­sent à la sé­dui­re et qu’el­le re­gar­de tour à tour, «en sou­riant», γέ­λαισα (v. 36), com­me Aph­ro­di­te fa­ce à Daph­nis, γε­λάοισα (v. 95). Dans ce jeu im­mé­mo­rial de la sé­duc­tion, qui dit le pou­voir de la fé­mi­ni­té et la di­men­sion ago­nis­ti­que de la vi­ri­li­té, s’expri­me la puis­san­ce destructri­ce des di­vi­ni­tés de l’amour, qui li­bè­rent les pul­sions ani­ma­les de l’hom­me en éveil­lant le dé­sir. Le vieux pêcheur de la deu­xiè­me say­nè­te (v. 39—45), qui s’ef­for­ce de ti­rer, non sans pei­ne, sa sub­sis­tan­ce de la mer, té­moig­ne, jus­que dans le réa­lis­me ñ.387 pic­tu­ral de l’ekphra­sis, de l’escla­va­ge du tra­vail qui maltrai­te le corps et as­ser­vit l’esprit. Le troi­siè­me dé­cor il­lustre la por­tée po­si­ti­ve du πό­νος poé­ti­que, mé­tap­ho­ri­que­ment transcrit dans l’ac­ti­vi­té de «tres­sa­ge» de l’en­fant, «fi­gu­re de la poé­sie bu­co­li­que»99. En ef­fet, ig­no­rant la me­na­ce que con­sti­tuent les deux re­nards avi­des, l’un de pil­ler le rai­sin mûr qu’il doit gar­der (v. 48—49), l’aut­re de mettre à sac son déjeu­ner (v. 50—51), le jeu­ne garçon s’ab­sor­be dans sa tâche, tout à la joie de «tres­ser une bel­le ca­ge à sau­te­rel­les», «mai­son»100 poé­ti­que d’où s’éc­happe le chant sym­bo­li­que des in­sec­tes cap­tu­rés. Unis­sant le jonc à l’as­pho­dè­le, il met le réel au ser­vi­ce de son plai­sir au lieu d’en être la vic­ti­me; il lui don­ne un sens au lieu de le su­bir, au contrai­re des deux jeu­nes hom­mes ou du vieux pêcheur; il ne le nie pas, com­me la jeu­ne fem­me con­dam­née par son in­sen­si­bi­li­té et sa beau­té mêmes à n’être que le ref­let — amé­lio­ré mais ar­ti­fi­ciel — du réel. C’est pour­quoi il est le seul à être heu­reux et à goûter la paix in­té­rieure. Gui­dé par le dé­sir et le plai­sir de tres­ser sa ca­ge, il sait lais­ser sa pla­ce à ce dé­sir dont il fait le mo­teur de la créa­tion ar­tis­ti­que. En ce­la il se rappro­che de Ly­ci­das et, com­me lui, il est un sym­bo­le du poè­te, qui, en façon­nant l’har­mo­nie­use beau­té du mon­de bu­co­li­que et en créant l’il­lu­sion du na­tu­rel, ret­rou­ve l’in­no­cen­ce de l’en­fan­ce101 et le bon­heur per­du. Pour être heu­reux, il suf­fit en ef­fet de s’adon­ner à la poé­sie, en tres­sant les fils va­riés d’une inspi­ra­tion pui­sée dans l’on­doyan­te di­ver­si­té du réel, tout au plai­sir de sculpter des vers et de trai­ter de thè­mes nou­veaux, plus humbles que ceux qu’a dé­ve­lop­pés Ho­mè­re. La mo­des­te cou­pe du chev­rier, ancrée dans le mon­de bu­co­li­que, αἰπο­λικόν, ti­re sa beau­té, θάημα (v. 56), de cet­te nou­vel­le sour­ce d’inspi­ra­tion qui lui don­ne sa pu­re­té, sa «vir­gi­ni­té», νεοτευ­χές (v. 28), ἄχραν­τον (v. 60)102, tan­dis que la sym­bo­li­que du dé­cor vé­gé­tal qui l’em­bel­lit pro­met l’im­mor­ta­li­té dio­ny­sia­que au poè­te ca­pab­le de chan­ter les souffran­ces de la vie. Le lier­re s’unit en ef­fet à l’acan­the pour dé­liv­rer le même mes­sa­ge: l’art concré­ti­sé par cet­te cou­pe, la poé­sie qui la fait exis­ter sur­vi­vent au temps qui pas­se, en­fan­tent et, en même temps, dé­pas­sent la cir­cu­la­ri­té vi­ta­le qui, en un per­pé­tuel re­com­men­ce­ment, con­duit sans ces­se l’hu­ma­ni­té de la nais­san­ce à la dé­gé­né­res­cen­ce: à l’opo­ra bu­co­li­que du jar­din de Phra­si­da­mos (VII, 143) fait éc­ho l’opo­ra ar­tis­ti­que de la troi­siè­me say­nè­te et «la vig­ne ri­che­ment char­gée, κα­λὸν βέβ­ρι­θεν ἀλωά, de grap­pes» (I, 46) évo­que le pru­nier dont «les ra­meaux sur­char­gés, κα­ταβ­ρί­θον­τες, s’af­fais­sent à ter­re» (VII, 146) pour offrir à Si­mi­chi­das une même opu­len­ce mag­ni­fiée par l’art du poè­te.

ÏÐÈÌÅ×ÀÍÈß


  • 1Sur cet as­pect chez Théoc­ri­te, cf. C. Kos­sai­fi, Re­cher­ches sur la poé­ti­que de Théoc­ri­te (ab­ré­gé: re­cher­ches…), p. 165—194, thè­se d’uni­ver­si­té, Bor­deaux III, pub­liée aux Pres­ses Univ. du Sep­tentrion, 1998, p. 246—262 et, pour une appro­che gé­né­ra­le, p. 5—6; cf. éga­le­ment P. Le­ve­que, Le mon­de hel­lé­nis­ti­que, Pa­ris, A. Co­lin, «Ago­ra», 1992 [1969], p. 123—206, con­sac­ré à «l’ul­ti­me mu­ta­tion de l’hel­lé­nis­me spi­ri­tuel»; M. C. Amo­ret­ti et F. Ru­ze, Le Mon­de grec an­ti­que, Clas­si­ques Ha­chet­te, Pa­ris, 1978, p. 264; E. R. Dodds, Les Grecs et l’ir­ra­tion­nel, Pa­ris, Flam­ma­rion, 1977 [1959], p. 239—241 (le rep­li de l’in­di­vi­du au sein de cé­nac­les phi­lo­sop­hi­ques et re­li­gieux pri­vés).
  • 2Ca­mus, Ca­li­gu­la, ac­te I, scè­ne 4.
  • 3Nous con­si­dé­rons com­me bu­co­li­ques les Idyl­les I, III à VII, X et XI, à l’exclu­sion des Idyl­les VIII, IX et XXVII, inau­then­ti­ques; cf., à ce sujet, A. S. F. Gow, Theoc­ri­tus II, Cambrid­ge Univ. Press 1952 (2e éd.), p. 170—71, 195 et 485. Nous ne par­ta­geons pas la thè­se de J. Iri­goin, qui con­si­dè­re les Idyl­les VIII et IX com­me «(fai­sant) par­tie du re­cueil ori­gi­nal sous la for­me même où el­les nous sont transmi­ses», in «Les Bu­co­li­ques de Théoc­ri­te. La com­po­si­tion du re­cueil», p. 39—42, QUCC, 19, 1975, p. 27—44.
  • 4Cf., par exemple, Ho­mè­re, Od., V, 63—74 (grot­te de Ca­lyp­so), IX, 182—3 (grot­te du Cyc­lo­pe), XIII, 34 (bois sac­ré d’At­hé­na en Phéa­cie), Eur., Cyc­lo­pe; cf. aus­si, Vit­ru­ve, De Ar­chi­tec­tu­ra, VII, 5. Sur la na­tu­re my­thi­que et rhé­to­ri­que d’un tel pay­sa­ge, cf. E. R. Cur­tius, La lit­té­ra­tu­re euro­péen­ne et le Moyen Age la­tin, cha­pit­re 10, «le pay­sa­ge idéal», Pres­ses Uni­ver­si­tai­res de Fran­ce, 1956 (trad. J. Bréjoux).
  • 5A. Bon­na­fe, Na­tu­re et sac­ré. Ho­mè­re, Hé­sio­de et le sen­ti­ment grec de la na­tu­re, col­lec­tion de la mai­son de l’Orient Mé­di­ter­ra­néen, n° 15, sé­rie lit­té­rai­re et phi­lo­sop­hi­que, 3, 1984, p. 157 (à pro­pos d’Ho­mè­re).
  • 6«Fonctions du dé­cor bu­co­li­que dans les Pas­to­ra­les de Lon­gus» (ab­ré­gé: «fonctions…»), in Lieux, dé­cors et pay­sa­ges de l’an­cien ro­man des ori­gi­nes à By­zan­ce, p. 169, Ber­nard Pou­de­ron (éd.), coll. Mai­son de l’Orient et la Mé­di­tér­ra­née, 34, sé­rie lit­té­rai­re et phi­lo­sop­hi­que 8, p. 163—176.
  • 7Sur cet as­pect, cf. C. Kos­sai­fi, «Un temple aux vi­vants pi­liers. La na­tu­re dans les Idyl­les bu­co­li­ques de Théoc­ri­te», Con­nais­san­ce hel­lé­ni­que, 103, av­ril 2005, p. 61—71; 104, juil­let 2005, p. 18—31 et 105, oc­tob­re 2005, p. 61—73, prin­ci­pa­le­ment le n° 103, p. 67—71.
  • 8«Na­tu­re et poé­sie dans les Idyl­les de Théoc­ri­te», in La na­tu­re et ses rep­ré­sen­ta­tions dans l’an­ti­qui­té, CNDP, 1999, p. 153.
  • 9Sur cet as­pect, cf. C. Kos­sai­fi, Re­cher­ches…, p. 165—194.
  • 10Tra­duc­tion Ph. E. Leg­rand, Les Bu­co­li­ques Grecs. 1. Théoc­ri­te, Pa­ris, C. U. F., «Les Bel­les Lettres», 1967, p. 75.
  • 11Cf. Anac­réon, 417 ou 488, in D. L. Pa­ge (ed.), Poe­tae Me­li­ci Grae­ci (ab­ré­gé PMG), Oxf., 1962, et Sap­pho, fr. 156 Voigt. La for­mu­la­tion évo­que aus­si le Cyc­lo­pe de Phi­lo­xè­ne, PMG, 821.
  • 12Sur la fem­me-grap­pe à ven­dan­ger, cf. Aris­to­pha­ne, Paix, v. 1338—1339; A. S. F. Gow et D. L. Pa­ge (ed.), The Gar­land of Phi­lip and so­me con­tem­po­ra­ry epig­rams, Cambrid­ge, 1968, 2402, 3218—3219.
  • 13Dé­mét­rius, dans son étu­de Sur le Sty­le, 163—166, op­po­se d’ail­leurs le «char­me», χά­ρις, des «noms à la bel­le so­no­ri­té», com­me chez Sap­pho, à l’ef­fet ri­di­cu­le de «noms qui sont or­di­nai­res et com­muns»; Hun­ter sug­gè­re qu’il avait peut-être à l’esprit ces vers du Cyc­lo­pe, in Theoc­ri­tus. A Se­lec­tion, Cambrid­ge Uni­ver­si­ty Press, 1999 (ab­ré­gé: Theoc­ri­tus), p. 230.
  • 14Cf. aus­si la rééc­ri­tu­re que fe­ra Lon­gus dans ses Pas­to­ra­les, 1, 17, 3 (τὸ πρό­σωπον ὅτι λευ­κότε­ρον ἀλη­θῶς καὶ τοῦ τῶν αἰγῶν γά­λακ­τος).
  • 15Sur la sen­sua­li­té du mur­mu­re, cf. Id. II, v. 141.
  • 16Ain­si se trou­ve an­non­cée la dou­ceur de miel de la sy­rinx de Daph­nis, με­λίπ­νουν (v. 128), l’al­lu­sion fonction­nant com­me sym­bo­le poé­ti­que (les poè­tes sont sou­vent nour­ris de miel ou ont la bou­che plei­ne de miel); sur cet as­pect, cf. Hun­ter, Theoc­ri­tus…, p. 105—106.
  • 17Cf. C. Kos­sai­fi, «Un temple…», n° 104, prin­ci­pa­le­ment p. 18—23 et C. Cus­set, «Na­tu­re et poé­sie dans les Idyl­les de Théoc­ri­te», op. cit., p. 148—149.
  • 18Sur le my­the de la ci­ga­le, sym­bo­le du chan­teur tout en­tier voué à son art, cf. Pla­ton, Phèd­re, 258e—259d, qui en est l’in­ven­teur (cf. P. Fru­ti­ger, Les my­thes de Pla­ton, Pa­ris, 1930, p. 233 et V. Goldschmidt, Les dia­lo­gues de Pla­ton, Pa­ris, 1948, p. 324), Cal­li­ma­que, fr. 1 Pf.
  • 19Théoc­ri­te n’uti­li­se ce ter­me en VII, 88 (à pro­pos de Co­ma­tas) et XXII, 40.
  • 20Sur cet as­pect à pro­pos de Vir­gi­le, cf. l’ana­ly­se de D. Mil­let-Ge­rard, Le chant ini­tia­ti­que. Es­thé­ti­que et spi­ri­tua­li­té de la Bu­co­li­que, Ge­nè­ve, éd. Ad So­lem, 2000.
  • 21Cf. Vir­gi­le, Bu­co­li­ques, II, 69—72, avec la dif­fé­ren­ce que Théoc­ri­te in­sis­te da­van­ta­ge ici sur la com­po­san­te exis­ten­tiel­le de la paix bu­co­li­que, alors que Vir­gi­le, dans sa rééc­ri­tu­re du pas­sa­ge, met plus net­te­ment l’ac­cent sur la di­men­sion poé­ti­que (la vig­ne à tail­ler, la cor­beil­le à tres­ser). Con­sti­tuer une ré­ser­ve de feuil­la­ges pour nour­rir ses bêtes pen­dant l’hi­ver est par ail­leurs une prescrip­tion im­por­tan­te que Vir­gi­le ré­pè­te deux fois dans ses Géor­gi­ques, III, 300—1 et 320—1.
  • 22L’auteur ren­voie aux v. 1078—79 et 1363—6 de l’Hip­po­ly­te d’Euri­pi­de, in Theoc­ri­tus, p. 99—100.
  • 23Cf., à pro­pos de sa mort, les v. 71—75 (deuil des ani­maux sau­va­ges et do­mes­ti­ques) et VII, 74—77 (thrè­ne cos­mi­que de la na­tu­re).
  • 24Out­re cet­te for­mu­la­tion épig­ram­ma­ti­que, Daph­nis s’expri­me éga­le­ment en hé­ros tra­gi­que (pro­cé­dé de l’ady­na­ton, v. 132—136), en poè­te élé­gia­que (thrè­ne sur sa mort, v. 115—118), tout en trou­vant par­fois des ac­cents épi­ques (ap­pel et adieu à Pan, v. 123—130).
  • 25Se­lon Cal­li­ma­que, un poè­me doit en ef­fet être va­rié (πο­λυ­ειδία) com­me l’était l’œuv­re de Ion de Chios (cf. Iam­be, XIII) et bref pour pou­voir être sculpté jus­que dans ses moindres dé­tails grâce à un pa­tient tra­vail sur les vers et les so­no­ri­tés, ca­pab­le de don­ner à la σύν­θε­σις λέ­ξεως la tex­tu­re mu­si­ca­le qui fait sa beau­té (πό­νος déjà va­lo­ri­sé par Phi­lé­tas, fr. 10, v. 3—4 Powell); cf. Aitia 1, 5—6 et 23—24 Pf., Hym­ne à Apol­lon, v. 110—112, épig­ram­me 27, v. 3—4 (sur Ara­tos de So­les)… Sur ces as­pects, cf. C. Kos­sai­fi, Re­cher­ches…, p. 40—52 (va­rié­té) et 22—26 (briè­ve­té et tra­vail poé­ti­que).
  • 26Le tex­te mar­que une disjonction net­te entre Thyr­sis et sa voix que Ph. E. Leg­rand ne rend pas dans sa tra­duc­tion: «et dou­ce est la voix de Thyr­sis», le con­cept d’ ἁδύ se trou­ve in­car­né dans l’or­ga­ne vo­cal qui de­vient auto­no­me par rap­port au chan­teur pour de­ve­nir sym­bo­le concret de la mu­si­ca­li­té des vers.
  • 27L’idyl­le, com­me nous l’avons dit sup­ra, s’ouv­re sur l’adjec­tif ἁδύ.
  • 28In Theoc­ri­tus’ Coan Pas­to­rals, Cambrid­ge (Mass.), Har­vard Univ. Press, 1967.
  • 29Theoc­ri­tus…, p. 134. L’auteur évo­que aus­si l’in­terpré­ta­tion psy­cho­lo­gi­que er­ro­née que fait Co­ry­don du mal-être des va­ches, en «(as­si­mi­lant) la si­tua­tion à cel­le de l’eros hu­main» et il ren­voie à ce qu’il ap­pel­le «the “pa­the­tic fal­la­cy”».
  • 30In La hou­let­te et la ly­re. Re­cher­ches sur les ori­gi­nes pas­to­ra­les de la poé­sie (I. Her­mès et Apol­lon), Pa­ris, Les Bel­les Lettres, 1960, p. 107—108; cf. aus­si N. Ka­zantza­ki, Le Christ rec­ru­ci­fié, p. 156—157 (liv­re de po­che).
  • 31La dis­pa­ri­tion du por­cher, si im­por­tant chez Ho­mè­re, com­me en at­tes­te le per­son­na­ge d’Eumée, peut s’expli­quer par le sym­bo­lis­me né­ga­tif du porc et sur­tout par le fait qu’il n’a pas de lien avec Pan, le dieu es­sen­tiel des Idyl­les bu­co­li­ques de Théoc­ri­te, com­me nous le ver­rons.
  • 32C. Meil­lier, «la fonction thé­ra­peu­ti­que de la mu­si­que et de la poé­sie dans le re­cueil des “Bu­co­li­ques” de Théoc­ri­te», p. 166, in BAGB, 2, juin 1982, p. 164—186.
  • 33Sur cet as­pect, cf. C. Kos­sai­fi, Re­cher­ches…, p. 234—239.
  • 34In Epig­ramm und Sko­lion, Gies­sen, 1893, ci­té et cri­ti­qué par Ph. E. Leg­rand, Etu­de sur Théoc­ri­te (ab­ré­gé: Etu­de), Fon­te­moing, Pa­ris, 1968 [1898], p. 142—150.
  • 35La cé­ra­mo­gra­phie et la lit­té­ra­tu­re théâtra­le du Ve sièc­le font par­fois al­lu­sion à cet­te plu­ra­li­té des Pans (cf. Σ ad IV, 62—63) et Non­nos de Pa­no­po­lis dans ses Dio­ny­sia­ques, dé­nombre­ra qua­tor­ze Pans is­sus du Pan pri­mor­dial et deux fils d’ Her­mès et de Nym­phes. Pour plus de pré­ci­sions, cf. A. S. F. Gow, II, p. 91 et Phi­li­pe Bor­geaud, Re­cher­ches sur le dieu Pan, Bib­lio­the­ca Hel­ve­ti­ca Ro­ma­na, XVII, 1979, p. 75.
  • 36Pan ap­pa­raît dans les Epig­ram­mes II, III et V (sur­tout v. 5—6) et dans les Idyl­les I, 3, 16—18, 123—129, où il est même ap­pe­lé ὦναξ, «sou­ve­rain»; IV, 47, 63; V, 14, 58, 141; VI, 21; VII, 103—114. Le poè­me fi­gu­ré Sy­rinx lui est con­sac­ré. Le ser­ment «par Pan» se trou­ve aus­si dans l’Oaris­tys [Id. XXVII], v. 21, 36, 51.
  • 37II, p. 97.
  • 38Il est ho­no­ré par les pêcheurs: cf. A. P., VI, 11—16; 179—187; 196; X, 10.
  • 39Il quit­te son re­pè­re et Zeus le foud­roie. La Sou­da se ré­fè­re à une ver­sion pro­che se­lon la­quel­le Pan cap­tu­re Ty­phon dans un fi­let de pêcheurs.
  • 40Ha­lieu­ti­ques, IV, 348 ss. Cf. Ph. Bor­geaud, p. 172—173.
  • 41Cet­te ana­ly­se est ti­rée de not­re ar­tic­le sur les dieux dans les Idyl­les bu­co­li­ques, dans le­quel le lec­teur trou­ve­ra d’aut­res exemples de cet­te ét­roi­te in­ter­re­la­tion, par­fois al­lu­si­ve, entre Pan et les pâtres, p. 62—64, in «les dieux dans les Idyl­les bu­co­li­ques de Théoc­ri­te. Bon­heur et souffran­ce», REA, 104, 2002, n° 1—2, p. 61—83.
  • 42Sur la façon né­ga­ti­ve dont les Grecs per­ce­vaient l’Ar­ca­die, cf. Ph. Bor­geaud, p. 15—69.
  • 43Cf. Théoc­ri­te, Epigr. V (= A. P., IX, 433), Ni­car­chos (A. P., VI, 31).
  • 44Cf., par exemple, Dé­mé­ter à tête de che­val en Ar­ca­die ou l’an­ti­que Zeus-loup sug­gé­ré par les ri­tes sec­rets du Ly­cée: cf. P. Le­ve­que et L. Se­chan, Les Gran­des di­vi­ni­tés de la Grè­ce (A. Co­lin, L’An­cien et le Nou­veau, deu­xiè­me édi­tion aug­men­tée, Pa­ris,1990), p. 87—88 (Zeus) et p. 135—136 (Dé­mé­ter).
  • 45P. Le­ve­que et L. Se­chan, op. cit., voient dans l’épi­thè­te Σμιν­θεύς, qui qua­li­fie par­fois Apol­lon, la tra­ce d’un an­cien dieu rat gué­ris­seur (p. 216) qui complè­te­rait la fonction bé­né­fi­que de son fils Asclé­pios, à l’ori­gi­ne un dieu tau­pe; ils sig­na­lent des «ana­lo­gies re­mar­quab­les» avec le dieu in­dien Rud­ra (p. 237). En ce qui con­cer­ne les liens d’Apol­lon avec le loup, «bien at­tes­tés» dans le cul­te, cf. p. 206 et no­te 72, p. 219. No­tons ce­pen­dant que l’épi­thè­te de Λύ­κειος / Λύ­κιος n’a pas un sens clair puis­que, out­re destruc­teur de loups, el­le peut sig­ni­fier dieu de Ly­cie ou dieu de la lu­miè­re, sou­lig­nant ain­si la comple­xi­té de cet­te di­vi­ni­té. Cf. Call, fr. 1 et la no­te de C. Try­pa­nis, ad hoc (Loeb Clas­si­cal Lib­ra­ry).
  • 46Apol­lon νό­μιος ap­pa­raît ain­si à la fois «pas­teur et mu­si­cien»; cf., à ce sujet, J. Du­che­min, p. 235—253.
  • 47Cf. l’Hym­ne ho­mé­ri­que à Her­mès (vol des va­ches d’Apol­lon, in­ven­tion de la ly­re…). Pour Pan, fils d’Her­mès, cf. aus­si Pla­ton, Cra­ty­le 408 c; A. P., XVI, 229. Chez Pin­da­re (fr. 100), il est fils d’Apol­lon.
  • 48L’expres­sion est de J. Du­che­min, op. cit., p. 203. Sur Her­mès νό­μιος, cf. H. Hom. à Her­mès, 567—71, Aris­to­pha­ne, Thesm., 977—8, etc.
  • 49Dans l’ima­ge­rie ho­mé­ri­que, il ne semble jamais te­nir la μάσ­τιξ du bou­vier que lui a re­mi­se Apol­lon (H. Hom. à Her­mès, v. 497). Cf., à ce sujet, G. Sie­bert in LIMC, to­me V, vol. 1, p. 288 (col. 2).
  • 50Ph. Bor­geaud, p. 102 et no­te 206 où l’auteur ren­voie à Lu­cien, D. Deor., 22; schol. Theocr., VII, 109; Serv., Ad Verg. Aen., II, 44.
  • 51Pan et le cau­che­mar, Ima­go, Pa­ris, 1972; tra­duc­tion française 1979.
  • 52Sur la vio­len­ce re­dou­tée des as­sauts se­xuels de Pan, cf. Euri­pi­de, Hé­lè­ne, v. 190 et Cal­li­ma­que, fr. 689 Pf. (τρύ­πανον αἰπο­λικόν); cf., à ce sujet, l’ana­ly­se de Ph. Bor­geaud, p. 116—117. Pour l’art, cf. le cra­tè­re de Bos­ton 10. 185 (in Beaz­ley, Der Pan­ma­ler, Ber­lin, 1931, 9—11, pl. 2 et 4).
  • 53Hun­ter, Theoc­ri­tus, p. 143, va même jus­qu’à pen­ser à la zoo­phi­lie et, s’ap­puyant sur l’endroit où l’ac­te a lieu (une étab­le, v. 61) et sur la «com­pa­rai­son avec les Sa­ty­res et les Pans, fa­meux pour leurs pra­ti­ques bes­tia­les», il pro­po­se de voir dans la bel­le un ani­mal de la fer­me.
  • 54Nous ne par­ta­geons pas l’appro­che de K. H. Stan­zel qui, même dans ce con­tex­te, sou­lig­ne la net­te dis­tinction entre les se­xua­li­tés hu­mai­ne et ani­ma­le et ne voit dans le rappro­che­ment du bouc et des chèv­res avec Co­ma­tas et La­con qu’un «simple pa­ral­lè­le», in Lie­ben­de Hir­ten. Theok­rits Bu­ko­lik und die ale­xandri­ni­sche Poe­sie: Teub­ner, Stuttgart und Leip­zig, 1995, p. 90.
  • 55Cf. H. G. Lid­dell, R. Scott, H. Stuart Jones, R. Ma­cken­zie, A Greek-English Le­xi­con, Ox­ford, 1968 [9e éd], s. v. κα­τελαύ­νω, 3 κ. γυ­ναικός et J. Hen­der­son, The Ma­cu­la­te Mu­se. Obsce­ne Lan­gua­ge in At­tic Co­me­dy: Se­cond Edi­tion, New-York; Ox­ford, 1991, p. 162. Le ver­be est uti­li­sé aus­si par Aris­to­pha­ne et se ret­rou­ve sous sa for­me simple, ἐλαύ­νειν, dans l’Idyl­le III, v. 2.
  • 56Cf. J. Hen­der­son, p. 179.
  • 57Le nom de Myr­to sug­gè­re en ef­fet la cour­ti­sa­ne, le myr­te étant une mé­tap­ho­re con­nue: cf. J. Tail­lar­dat, Ima­ges d’Aris­to­pha­ne: Pa­ris, 1965, p. 75—76; cf. aus­si Head­lam, à pro­pos d’Hé­ron­das, I, 89 et II, 76, et C. Kos­sai­fi, «L’Ono­mas­ti­que bu­co­li­que dans les Idyl­les de Théoc­ri­te. Un poè­te fa­ce aux noms», p. 352—3, in REA, 104 (juin 2002), p. 349—361.
  • 58Sy­rinx, 17; la même expres­sion se trou­ve dans l’Idyl­le VII, v. 89, à pro­pos de Co­ma­tas (ἁδὺ με­λισ­δό­μενος).
  • 59Le my­the de Sy­rinx, com­me tous les sché­mas nar­ra­tifs re­la­tifs à Pan, a été éla­bo­ré à l’épo­que hel­lé­nis­ti­que. Dans la my­tho­lo­gie clas­si­que, c’est Her­mès qui in­ven­te la sy­rinx: cf. Hym­ne ho­mé­ri­que à Her­mès v. 512, Eup­ho­rion, ci­té par At­hé­née, IV, 82, p. 184a, Ps. Apol­lo­do­re, III, 10, 2.
  • 60Ph. Bor­geaud, p. 181, qui sou­lig­ne l’am­bi­guïté de cet­te mu­si­que, à la fois instru­ment d’apai­se­ment et de fo­lie pa­ni­que.
  • 61Ph. Bor­geaud, p. 129.
  • 62Pour plus de dé­tails, cf. not­re étu­de, «les dieux…», p. 62—74.
  • 63Sur la por­tée ini­tia­ti­que de la mort de Daph­nis, cf. not­re étu­de, «Daph­nis et Daph­né. My­the et poé­sie dans l’Idyl­le I de Théoc­ri­te», p. 134—137 et 139—143, in BAGB, 1, 2005, p. 113—144.
  • 64C’est pour­quoi, dans le pre­mier coup­let de l’agon qui l’op­po­se à La­con (V, 80—81), Co­ma­tas se dit «plus ché­ri des Mu­ses que le chan­teur Daph­nis». Les souffran­ces de Daph­nis, de­ve­nues pro­ver­bia­les (cf. V, 20: «si je te crois, que j’aie à sup­por­ter les souffran­ces de Daph­nis»), étaient d’ail­leurs le sujet du chant qui a ren­du Thyr­sis cé­lèb­re (I, 19).
  • 65Sur cet as­pect, cf. C. Kos­sai­fi, «Daph­nis et Daph­né…», p. 129—143.
  • 66Με­λίπ­νους peut sig­ni­fier aux doux ac­cents (cf. Li­me­nius, Powell, Coll. Al., p. 149. 13: με­λίπ­νοον αὐδάν) ou à la dou­ce odeur (cf. A. P., VI, 231: με­λίπ­νους λί­βανος). Cf. A. S. F. Gow, II, p. 27 ad I, 128.
  • 67Sur cet as­pect, cf. C. Meil­lier, op. cit.
  • 68Cf. le com­men­tai­re de Gow, II, p. 30—31 et Hun­ter, p. 67.
  • 69Sur cet as­pect, cf. F. La­vo­cat, «Es­pa­ces ar­ca­di­ques. Es­quis­se pour une hyd­ro­gra­phie pas­to­ra­le», Etu­des Lit­té­rai­res, 34, 1—2, 2002, p. 153—167.
  • 70Sur l’ori­gi­na­li­té de la ver­sion théoc­ri­téen­ne obscu­re même aux com­men­ta­teurs an­ciens de Théoc­ri­te, cf. C. Kos­sai­fi, «Daph­nis et Daph­né…», p. 123 avec ré­fé­ren­ces, no­tes 69.
  • 71Sur Mé­nal­cas, qui pas­se pour avoir été l’amant de Daph­nis, cf. Σ, 8. 53 d 55, 9 arg.; fr. 2 Powell et Cléar­que, Ero­ti­ca, fr. 32 Wehrli (= Ath., 14, 619 c—d). R. L. Hun­ter, Theoc­ri­tus…, p. 66, rap­pel­le d’ail­leurs que Mé­nal­cas et Daph­nis ont été «les pre­miers in­ven­teurs ri­vaux» de la poé­sie bu­co­li­que. Pour Daph­nis in­ven­teur de la poé­sie bu­co­li­que, cf. Dio­do­re de Si­ci­le, 4, 84 et les ré­fé­ren­ces que nous avons don­nées dans not­re étu­de, «Daph­nis et Daph­né…», p. 113, no­te 1.
  • 72Il se­rait né ou aurait été ex­po­sé dans un bos­quet de lau­riers, ἐν δάφνῃ, d’ap­rès Elien, H. V., 10, 18.
  • 73Sur la lé­gen­de de Daph­né, mé­ta­mor­pho­sée en lau­rier pour éc­happer à la pour­sui­te d’Apol­lon, cf. Ovi­de, Mét., I, 531 ss; cf. aus­si [Apol­lo­do­re] Bib­lio., I, 7, 9; Hy­gin, Fab­les 203; Pau­sa­nias, VII, 20, 2 et X, 5, 3; Par­thé­nios, Narr. Amat., 15.
  • 74Nous avons ana­ly­sé en dé­tail cet agon que gag­ne lo­gi­que­ment Co­ma­tas, dont Théoc­ri­te a fait le chev­rier et le poè­te de Pan; nous nous per­met­tons donc de ren­voyer le lec­teur à not­re étu­de: «Le poè­te de Pan. Les rai­sons de la vic­toi­re de Co­ma­tas dans l’Idyl­le V de Théoc­ri­te», REG, 115, 1, 2002, p. 75—109.
  • 75Nous avons déjà évo­qué cet­te réa­li­té, bien ana­ly­sée par J. Du­che­min, op. cit.; cf. aus­si C. Kos­sai­fi, Re­cher­ches…, p. 195—202.
  • 76In G. B. Con­te, Sag­gio in Ovi­dio, Ri­me­di contro l’amo­re, a cu­ra di Ca­te­ri­na Laz­za­ri­ni, Ve­ni­se, 1986, p. 46, no­te 5.
  • 77Sur cet­te dia­lec­ti­que de l’art et de la na­tu­re, fon­da­men­ta­le dans la lit­té­ra­tu­re bu­co­li­que, cf., par exemple, R. Hun­ter, Theoc­ri­tus, p. 193.
  • 78L’expres­sion est de J.-P. Ne­rau­dau, à pro­pos des Bu­co­li­ques de Vir­gi­le, Les Bel­les Lettres, «Clas­si­ques en po­che», 1997, p. XXXII. Cf. aus­si C. Se­gal, Poet­ry and Myth in An­cient Pas­to­ral. Theoc­ri­tus and Vir­gil, Prin­ce­ton Univ. Press, 1981, p. 4—5, qui voit dans la poé­sie bu­co­li­que une dis­til­la­tion du pro­ces­sus de créa­tion poé­ti­que.
  • 79In «The Ori­gins of Bu­co­lic Rep­re­sen­ta­tion. Di­sen­chantment and Re­vi­sion in Theoc­ri­tus’ Se­venth Idyll», p. 34, Clas­si­cal An­ti­qui­ty, III, 1, 1984, p. 1—39.
  • 80Cf. Ph. E. Leg­rand, Etu­de, p. 150: «les idyl­les à per­son­na­ges rus­ti­ques semblent bien avoir été vé­ri­tab­le­ment ce pour quoi on les prend d’or­di­nai­re: des tab­leaux de la vie de cam­pag­ne» (à l’is­sue de son étu­de de la thè­se de Reit­zenstein, p. 141—150).
  • 81Cf. la théo­rie de la mas­ca­ra­de bu­co­li­que, dé­ve­lop­pée par E. Reit­zenstein, appli­quée à Vir­gi­le par Herrman, Les Mas­ques et les Vi­sa­ges dans les Bu­co­li­ques, Bru­xel­les, 1930.
  • 82Cf. K. J. Gutzwil­ler, Theoc­ri­tus’ Pas­to­ral Ana­lo­gies. The For­ma­tion of a Gen­re, Univ. of Wis­con­sin Press, 1991.
  • 83Pa­ge 157; l’auteur ren­voie à Lon­gus, Daph­nis et Chloé, 1, 4, 2: μει­δίαμα περὶ τὴν ὀφρύν, à pro­pos des sta­tues des Nym­phes.
  • 84Ce ter­me, qui évo­que la ma­li­ce ou le mép­ris, dé­ri­ve, d’ap­rès Elien, III, 40 (cf. aus­si scho­lie à Rép. 337a, éd. Gree­ne) de σαίρω, et sug­gè­re la di­men­sion pa­ni­que du per­son­na­ge, que Lawall (op. cit., p. 80—84) as­si­mi­le à un sa­ty­re et en qui E. L. Brown va jus­qu’à voir Pan lui-même («The Ly­ci­das of Theoc­ri­tus’ Idyll 7», Har­vard Stu­dies in Clas­si­cal Phi­lo­lo­gy, 1981, p. 59—100), tan­dis que F. Wil­liams y trou­ve une in­car­na­tion d’Apol­lon en per­son­ne («A Theo­pha­ny in Theoc­ri­tus», Clas­si­cal Quar­ter­ly, 1971, p. 137—145)… Cf. la syn­thè­se de Hun­ter, p. 148—149.
  • 85Le lec­teur trou­ve­ra de nombreu­ses ré­fé­ren­ces dans l’étu­de de L. Pla­ze­net, «Théoc­ri­te: idyl­le 7», An­ti­qui­té Clas­si­que, LXIII, 1994, p. 77—108. L’auteur in­sis­te sur l’iro­nie du poè­te; pour Ly­ci­das, el­le montre com­ment «l’in­sis­tan­ce de la descrip­tion phy­si­que con­sti­tue un sig­nal ad­res­sé à la mé­fian­ce du lec­teur» (p. 78).
  • 86Pour la pla­ce de l’ἁσυ­χία dans les Idyl­les de Théoc­ri­te, cf. C. Kos­sai­fi, Re­cher­ches…, p. 272—286 et pas­sim.
  • 87Nous emprun­tons à Ph. Bor­geaud, p. 106—114, l’ana­ly­se de ce pas­sa­ge.
  • 88L’expres­sion est de Sap­pho, fr. 1302, Lo­bel-Pa­ge (l’amour est «une créa­tu­re dou­ce-amè­re contre la­quel­le on ne peut rien»); la même vi­sion se ret­rou­ve chez Po­si­dip­pe, A. P., V, 134 et Mé­léag­re, A. P., XII, 109.
  • 89L’idyl­le est d’ail­leurs ad­res­sée à Ni­cias, poè­te et mé­de­cin ami de Théoc­ri­te, dont nous avons gar­dé deux he­xa­mèt­res de sa ré­pon­se (SH, 566); cf. aus­si la réac­tion hu­mo­ris­ti­que de Cal­li­ma­que, ép. 46 et not­re ana­ly­se, Re­cher­ches…, p. 277—281.
  • 90G. W. Lawall, p. 10; cf. aus­si l’ana­ly­se de L. Pla­ze­net, p. 93—94.
  • 91«Seeing and Fee­ling: a Rep­re­sen­ta­tion in Two Poems of Theoc­ri­tus», p. 12, in Clas­si­cal Phi­lo­lo­gy, 80, 1985, 1, p. 1—19.
  • 92L’expres­sion est de C. Se­gal, p. 218.
  • 93Sur le pou­voir des noms et la jus­tes­se ma­gi­que des mots, cf. Gor­gias, Hé­lè­ne et l’ana­ly­se d’en­semble de Geor­ge B. Walsh, The Va­rie­ties of En­chantment. Ear­ly Greek Views of the Na­tu­re and Function of Poet­ry, Uni. Of North Ca­ro­li­na Press, Cha­pell Hill and Lon­don, 1984, sur­tout p. 63—79 (Eschy­le) et p. 81—86 (Gor­gias); cf. aus­si les re­mar­ques de Cra­tès de Mal­los (con­nues à tra­vers la cri­ti­que de Phi­lo­dè­me, Περὶ ποιημά­των, V, col. 21. 25—26. 18, éd. C. Jen­sen, Phi­lo­de­mos über Ge­dich­te, fünftes Buch, 1923) et l’étu­de d’Eli­sa­beth As­mis, «Cra­tès on Poe­tic Cri­ti­cism», Phoe­nix 46, 1992, p. 138—169.
  • 94Ph. E. Leg­rand, La poé­sie ale­xandri­ne, Pe­ti­te Bib­lio­thè­que Payot, 1924, p. 91: «ces bruits fa­mi­liers, (ces) spec­tac­les restreints (…) oc­cu­pent les sens sans les fai­re tra­vail­ler»; cf. aus­si l’ana­ly­se de R. L. Hun­ter, Theoc­ri­tus, p. 192.
  • 95Sur cet as­pect, cf. le com­men­tai­re li­néaire de R. Hun­ter, Theoc­ri­tus, p. 191—199.
  • 96L. Pla­ze­net, p. 106.
  • 97Cf., entre aut­res, G. W. Lawall, p. 102—106; P. Ky­ria­kou, Ho­me­ric Ha­pax Le­go­me­na in the Ar­go­nau­ti­ca of Apol­lo­nius Rho­dius, Stuttgart, 1995, p. 216—231; R. Hun­ter, Theoc­ri­tus, p. 193.
  • 98Nous avons ana­ly­sé les com­po­san­tes du πό­νος tel­les qu’el­les ap­pa­rais­sent ici dans not­re ar­tic­le de ré­pon­se à A. Lou­piac, in­ti­tu­lé «No­tu­la theoc­ri­tea. La cou­pe du chev­rier dans l’Idyl­le I de Théoc­ri­te», p. 119—122, BAGB, 1, 2006, p. 119—126.
  • 99L’expres­sion est de A. Lou­piac, à pro­pos de πλέ­κειν in «No­tu­la Ver­gi­lia­na: les cou­pes d’Al­ci­mé­don (Buc., III, 34—47), emblè­me des in­ter­ro­ga­tions de Vir­gi­le?», p. 131, BAGB, 2, 203, p. 130—135.
  • 100Dans ce con­tex­te hau­te­ment sym­bo­li­que, nous nous per­met­tons de rap­pe­ler que la lan­gue ara­be dé­sig­ne le coup­let poé­ti­que par le ter­me baït, “mai­son”.
  • 101Le poè­te est en ef­fet semblab­le à un en­fant; cf. Cal­li­ma­que, fr. 1. 6 (παῖς ἅτε) et l’ana­ly­se de F. Cairns, «Theoc­ri­tus’ First Idyll: the Li­te­ray prog­ram­me», p. 102—105, in Wie­ner Stu­dien, 97, 1984, p. 89—113.
  • 102Vir­gi­le, qui a bien sai­si l’im­por­tan­ce de ce dé­tail, emblè­me de la nou­vel­le poé­sie (cf. Cal­li­ma­que, Hym­ne II, 111), ré­pè­te ce vers 60 à deux rep­ri­ses dans sa troi­siè­me bu­co­li­que (v. 43 et 47).
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